La société contemporaine, largement privée de ses patois du fait qu’ils sont, dans bien des lieux, sortis de la configuration des langues parlées, peine à appréhender la notion de patois. Ce constat actuel n’enlève rien à la réalité patoise ni à son importance dans la définition de l’identité d’une communauté et d’une région parce que, la fonction primordiale du patois, réside dans sa capacité à réunir, même par-delà les montagnes. En effet, le patois se démarque comme la langue d’une terre, la langue d’une communauté. Ainsi, le patois baigne dans la fugacité de l’oralité, il procède du rapport à l’espace, il s’insère dans l’intimité de l’être et des sociétés. La toponymie romande en particulier continue à laisser résonner la langue indigène, souvent à l’insu des francophones. D’emblée la langue dialectale s’inscrit sous le mode de la variation essentiellement géographique. Le patois rassemble un groupe autour de son moyen de pensée et de son mode d’expression. La proximité, la vie commune et la communication verbale participent au sentiment d’appartenance que le patois suscite.
Comme il est enraciné dans l’expérience partagée, le patois offre les mots et les locutions pour dire et décrypteraussi bien les sentiments éprouvésque la réalité environnante. Son apprentissage, effectué dans le giron familial et au sein de la collectivité locale, favorise la perception du patois, comme étant la langue de l’intériorité, d’autant plus que l’acquisition linguistique ne se fonde sur aucun autre moyen didactiqueque la parole de l’autre, plaçant de fait la relation au cœur même de la maîtrise dialectale. Aussi les patoisants associent-ils leur langue à l’expérience individuelle et relationnelle et ne l’envisagent guère comme un outil de communication. Le patois s’assimile à la chanson qui berce de sa musique l’existence entière, du berceau au lit de mort. Comment, dans cette situation particulière de la langue, le patois ne serait- il pas précisément la langue du cœur ?
C’est dans la relation privilégiée que le patoisant tisse avec sa langue et avec sa communauté que se construit la valeur du patois. Ce lien se renforce par le fait que le patois dispose d’un large vocabulaire pour désigner l’ensemble du monde dans lequel évolue la personne. Naturellement, le locuteur patoisant perçoit l’adéquation entre le mot et la chose, entre l’expression et le vécu. Le dialectophone d’aujourd’hui, responsable et engagé, est le dépositaire et le passeur d’une richesse lexicale et civilisationnelle unique.
Effectivement, la communauté patoise partage les mêmes références au point que la connivence entre les locuteurs est déterminante dans les échanges en patois. Qu’importe que la signification d’un mot varie d’un lieu à l’autre dans la mesure oùla communauté de vie qui l’emploie lui attribue les mêmes nuances sémantiques ! C’est la cohésion de la collectivité locale qui garantit la justesse des formes phonétiques et morphologiques, l’exactitude des constructions syntaxiques ou la complexité du champ des significations ou encore le partage d’une certaine vision du monde. Bref, le patoisant et sa communauté forment l’académie du patois…
Ainsi, le patois existe comme tel dans le cercle d’une communauté linguistique et il est bien individué en fonction d’un point dans l’espace. Dans ce sens, on parle régulièrementdu patois du Trient ou du patois d’Evolène. Les communautés voisines développent des caractéristiques qui leur sont propres sans que ces variations entravent la communication. Les patoisants reconnaissent les différences qui distinguent des patois proches du leur. Ce savoir métalinguistique s’inscrit dans les multiples compétences développées par les patoisants.
Enfin, chaque patois récapitule, pour le locuteur d’aujourd’hui et pour l’ensemble de l’humanité, une histoire multiséculaire. Le patois représente certes un trésor linguistique mais surtout un art de façonner une vision du monde originale. Pourrait-on parler de la sagesse du patois ?
Par leurs caractéristiques intrinsèques, par leur longue histoire, par leur exacte adéquation à l’environnement physique et social, par leur mode unique de transmission et surtout pat le lien essentiel qui s’instaure entre l’individu et sa langue, entre la communauté et sa langue, tous les patois constituent une richesse inestimable pour l’humanité.
Des trésors en patois dorment peut-être chez vous, n’hésitez pas à venir enrichir le site grâce à vos documents !